Ressources

L’intelligence artificielle va-t-elle trop vite pour la musique ?

-----Un article du Courrier International----- Les avancées de l’intelligence artificielle sont particulièrement visibles dans le monde de la musique. Entre ruée vers l’or et panique totale, le secteur est divisé face aux disruptions que provoquent ces nouvelles technologies, écrit “The Los Angeles Times”.

Avec l’appli Mayk.it, la musique semble un jeu d’enfant. Cette start-up musicale, qui fait appel à l’intelligence artificielle (IA), a bénéficié d’une mise de fonds de départ de 4 millions de dollars [3,7 millions d’euros] de grands noms du capital-risque, de l’ex-directrice de Spotify Sophia Bendz ou encore de célébrités comme le youtubeur MrBeast et le rappeur amateur de bidouillages vocaux T-Pain. Installée à Santa Monica [en Californie], la société espère faire avec la prestation vocale et la production musicale ce qu’Instagram a réussi avec la photo, et TikTok avec le montage vidéo : vous permettre de vous exprimer comme un semi-pro en quelques clics sur les réseaux sociaux.

Sur le toit du siège, Stefán Heinrich Henriquez, le cofondateur de Mayk.it, nous fait voir une vidéo réalisée avec la prochaine version de son application, Covers.ai. On l’y voit interpréter une version convaincante de Shake It Off de Taylor Swift, sans qu’il ait eu à chanter la moindre note, ou à peine. Il a simplement modélisé sa voix grâce à l’IA, ce qui a permis à l’application de créer un clip de la chanson avec sa voix. Il aurait pu chanter n’importe quoi ou, en sélectionnant un des modèles vocaux intégrés dans l’appli, chanter avec la voix d’un autre.

Miser sur la quantité plus que sur la qualité

“Quand j’étais chez TikTok, j’étais aux premières loges pour voir l’évolution du secteur de la musique”, raconte Stefán. Akiva Bamberger, cofondatrice de la société, et lui-même, la trentaine tous les deux, sont passés par TikTok, YouTube et Snapchat. “Le sens musical compte moins”, ajoute-t-il.

“C’est plus une question de quantité que de qualité. Si vous donnez tout sur une seule chanson, vous avez moins de chance de vous faire repérer par un algorithme sur une de ces plateformes.”

“C’est une nouvelle manière d’aborder la chose, poursuit-il. Je n’ai même plus à penser aux instruments. Est-ce que j’ai vraiment besoin d’associer un beat à une mélodie, à un texte et à une vraie voix ? Peut-être que non. Il faut qu’on aille plus loin dans la simplification et qu’on décide davantage à la place du débutant, de sorte qu’il ne soit pas paralysé par la prise de décisions. C’est là que l’IA entre en scène.”

Quelques jours plus tard, je décide de tester Mayk.it. Depuis sa création, ses utilisateurs ont créé des millions de morceaux, selon les cofondateurs de l’entreprise. L’application propose un large éventail de beats, de l’afropop à la country en passant par la musique d’ambiance, tous composés par des humains. J’opte pour Seductive Nights, un loop R’n’B, et j’ouvre le générateur de paroles de Mayk.it, qui fait appel à ChatGPT, pour y trouver l’inspiration.

Une chanson en quelques clics

Vous redoutez que l’IA ne vous ôte le pain de la bouche ? Mayk.it peut en faire une chanson. “Will I ever find my way ?” [“Trouverai-je un jour ma voie ?”] me suggère l’appli dans un texte de mauvais augure, après que je lui ai confié mes inquiétudes liées à la montée en puissance de l’IA.

J’appuie sur “Enregistrer” et fredonne une mélodie, même si je n’en ai pas vraiment besoin. Mayk.it peut corriger la hauteur de la note, ajouter des effets, éditer la piste audio et la mixer pour pondre une maquette en quelques clics. Mayk.it peut ensuite poster le morceau terminé sur son propre réseau social, sur TikTok ou sur Spotify. “On peut faire venir les gens à la musique, se félicite Akiva Bamberger. On fait le boulot du studio à votre place.”

Mayk.it n’est qu’un exemple de la manière dont on peut utiliser le potentiel de l’IA dans le domaine de la musique. Mais il montre qu’une technologie qui passait jusque-là pour de la science-fiction est aujourd’hui capable de faire aisément le travail d’un chanteur, d’un producteur, d’un ingé son et d’un patron de label, le tout depuis un téléphone.

Une menace floue

Mais, si la technologie stupéfie, son utilisation pratique et les menaces qu’elle représente sont peu claires. Les considérations éthiques et les applications concrètes de cette technologie qui progresse à pas de géant restent à établir. L’IA sonnera-t-elle le glas de l’industrie musicale ou ne sera-t-elle qu’un outil, au même titre que le sampling ou les boîtes à rythmes, qui n’ont pas – nonobstant les craintes initiales – remplacé les musiciens ?

Elle inspire parfois des discours apocalyptiques. “L’atténuation du risque d’une extinction [de l’espèce] provoquée par l’IA doit être une priorité mondiale, au même titre que d’autres risques sociétaux, tels que les pandémies et les conflits nucléaires”, lit-on dans une lettre ouverte du Center for AI Safety [“Centre pour la sûreté de l’IA”] signée par des dizaines de figures de la tech, dont Sam Altman et Bill Gates, ou encore le député démocrate Ted Lieu.

Après le lancement, en 2022, de services comme ChatGPT et Stable Diffusion, capables de générer des conversations textuelles et des images convaincantes sur demande, on peut légitimement s’attendre à voir des répercussions considérables sur divers secteurs. Dans son projet de déclaration de droits sur l’IA, le gouvernement de Joe Biden observe que “parmi les grands défis auxquels est aujourd’hui confrontée la démocratie figure l’utilisation des technologies, des données et des systèmes automatisés d’une manière qui menace les droits des Américains”.

 

(La suite est réservée aux abonnés)

https://www.courrierinternational.com/article/decryptage-l-intelligence-artificielle-va-t-elle-trop-vite-pour-la-musique