Quel quartier sommes-nous ?
un seuil de Strasbourg
Incarnée – au risque qu’on l’y réduise – dans un patrimoine désormais labellisé, la Neustadt enveloppe en fait Strasbourg également par l’Ouest, jusqu’au Quartier Gare, écho naturellement européen d’une symphonie de grande ville portée, comme il se devait à l’époque de sa création, par le rythme du train. Le vocabulaire du rail, retrouvant aujourd’hui de nouvelles actualités, décline ici nos modernes mobilités et affirme plus que jamais ce quartier comme seuil de Strasbourg à la fois avec la plaine hansienne et avec les grandes villes européennes. Au coeur des flux, le Quartier Gare tutoie ainsi quotidiennement le grand paysage, caché par la topographie de la ville et qui se déploie à ses abords.
C’est un morceau de ville en suspension, dont l’âme prospère, oxygénée par un bras- sage humain continu depuis un siècle et demi. Son foisonnement kaleidoscopique joue ainsi en permanence avec la rigueur de l’urbanisme impérial qui a dessiné ses rues sur les ruines d’une guerre : une guerre certes moins mondiale que d’autres mais non moins traumatique, qu’on a pourtant presque fini par oublier…
Cet urbanisme s’est ensuite déployé au rythme euphorique de la fabrique de la ville européenne des « temps-modernes », assemblant les classes sociales, enjambant annexions, conflits et traumas pour devenir singulière évidence.
un rôle singulier dans la partition du récit de la ville.
Quasi faubourg que semblent ignorer les intentions planificatrices et les ardeurs éruptives, voisin canaille et chahuteur de l’Ellipse et de la Neudstadt-Noble, Le Quartier Gare est un socle paradoxal et dynamique de Strasbourg.
Dans un équilibre qui tient du jeu de mikado, il participe depuis des décennies du renouvellement de la ville, au gré de rythmes singuliers et souvent souterrains. Nés du pouls de l’époque, ceux-ci s’épanouissent dans l’authenticité patinée et la mixité humaine autant qu’urbaine de ce delta de rues et de trajectoires.
Au moment où le mouvement urbain vient bousculer son apparente torpeur jusqu’à assumer son statut de destination dans la cartographie des usages et agréments, il y a au- tant de responsabilité que d’opportunité à révéler sans le trahir le rôle singulier que le Quartier Gare joue dans l’archipel de Strasbourg.
Il s’agit d’un rôle rythmique, procédant par résonances entre les événements et les persistances, et qui, assurément, assoie la partition du récit de la ville.
Car Le Quartier Gare est un attachant morceau de Strasbourg ; une part d’un tout avec sa singularité et en même temps cette conscience du tout et de l’appartenance partagée à ce tout. A la fois destination, ancrage, zone traversée et diffuseur d’énergie, c’est un lieu de proximité rayonnante, de rayonnement de proximité, de mise en proximité du rayonnement.
Pour ses habitants et habitués, à travers ses cours collectives disséminées comme autant de parenthèses villageoises dans l’agitation urbaine et au gré de rues qui échappent dans une fausse indolence au dense traffic de ses boulevards, ce creuset de voisinages est un territoire de conversations : conversations de bouches à oreilles mais aussi conversations avec les lieux, avec la ville et les échelles gigognes dans lesquelles s’inscrire.
Lieu d’accueil des premiers projets de logements sociaux collectifs de Strasbourg, Le Quartier Gare est resté un quartier populaire et, mieux encore, de mixité sociale. Il est sans doute le quartier le plus inter-culturel de la ville.
Par là-même, il présente de splendides opportunité de construction d’identités et de trajectoires par « origines augmentées », articulées à un « noustrimoine » hérité de l’histoire et du récit de la ville et constamment nourri de ceux de ses habitants et habitantes.
Dans ce morceau de Strasbourg, s’incarne et surtout se vit au quotidien un récit commun qui transcende à la fois les origines et les époques, un récit de Strasbourgeois.
une néo-tenthique signature strasbourgeoise
Le Quartier Gare se révèle riche d’un dense tissu associatif socio-culturel tout comme il se pose, sans le revendiquer, en auto-déterminé quartier créatif de la ville et assurément quartier d’art, de culture et de création par les nombreux lieux, initiatives et artistes qui y
sont implantés. C’est aussi le quartier où l’économie sociale et solidaire a développé son réseau d’acteurs et d’actrices volontaristes et il accueille nombre de structures sociales déployant leur action à l’échelle de l’agglomération.
Le Quartier Gare est donc un étonnant quartier-ressource, où l’on trouve, pour peu qu’on l’arpente et pousse quelques portes, de nombreuses forces structurantes de la ville.
Ainsi habité et activé, il est le lieu de persistantes émergences autour d’une néo-tenthique signature strasbourgeoise qui propose un riche écho à l’époque.
Cette signature constitue un précieux élément d’équilibre en voisinant un Centre-Ville traditionnellement hyper-actif et malheureusement devenu ultra-réactif à des sirènes métro- politaines – voire métropolisantes. Celles-ci sont à la fois séduisantes et normatives jusqu’à en oublier de s’enraciner dans l’égrégore strasbourgeois au-delà de la seule valorisation économique de notre ville ou d’une obsession pour la production de l’image de celle-ci. Dans ses persistances et sa résistance dynamique, Le Quartier Gare est ainsi une irremplaçable opportunité pour Strasbourg.
On trouve Le Quartier Gare lové à flanc de talus à la lisière du Parc Naturel Urbain. Traversé de toutes parts par tous les flux, s’enroulant comme il peut contre la dorsale qui coupe Strasbourg par le bitume et le rail, il s’alanguit discrètement entre une ville de l’intérieur – qui flotte, quasi insulaire, jusqu’au Rhin nouvellement ré-embrassé – et la ville de l’Outre-Route, au-delà d’une multi-voies en attente de projet.
C’est un crossroad où Strasbourg persiste à refuser de vendre son âme à tous les diables et même aux anges, c’est le point d’ancrage de plusieurs axes structurants de la ville.
A partir du Quartier Gare partent donc toute une série de lignes de forces urbaines. On les arpente, par les rues, les quais ou les boulevards, mais aussi à travers quelques urbanités indéfinies ou poétiques, jusqu’au cœur médiéval de Strasbourg et aux diverses villes nouvelles, jusqu’au fleuve et jusqu’aux portes géographiques et institutionnelles de l’Europe.
l’opportunité d’un Quartier Apprenant
Proche du centre ville, l’augmentant en gardant l’air de ne pas y toucher, Le Quartier Gare est un tiers-quartier, un quartier accueillant mais, mieux encore, c’est un Quartier- Apprenant.
Par nature et par tradition, c’est un morceau de ville qui accueille et autonomise les individus, favorise les apprentissages par voisinages et stimule la cohésion sociale.
A l’heure où des défis majeurs interrogent nos société, Le Quartier Gare est un néothentique moteur de développement urbain et humain, pour ceux qui l’habitent comme pour le centre-ville à refonder et pour d’autres espaces de la géographie de Strasbourg.
La tradition faubourienne du Quartier Gare est en effet de celles qui offrent des marges urbaines où s’écrivent à la main, au fil de l’inspiration, ce qui vient ensuite prendre place en pleine page, une fois malaxé par la mécanique de production de la forme de la ville.
La plus belle des perspectives qu’on puisse y dessiner est que, à y vivre et à le vivre, chacune et chacun y rencontre son « droit à la ville », s’y trouve durablement, y alimente son désir de s’inventer sans cesse autour de communs et que le voisinage mouvant de ces altérités conjuguées renouvelle sans cesse le désir de « ville ensemble ».
Qu’ici et ainsi, notamment et singulièrement, se formule une manière d’habiter le monde et l’époque « à la Strasbourgeoise ».
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